mardi 3 juillet 2012



Dans son dos, il résidait une chance, un espoir, bien que très faible. Si la glace n'était pas très épaisse... Si l'eau n'était pas si froide... Si le fleuve n'était pas si loin ...

Cela ne fit ni une ni deux, la jeune fille était lucide.

En sachant qu'elle n'avait que 10 ans mais allait peut-être laisser sa vie là, en étant consciente de sa mort très proche alors que certains enfants ne réalisent que très tard qu'un jour seulement ils mourront, elle se retourna face à son si précoce suicide. Il était insensé qu'un gosse fasse un tel choix, complètement fou, n'importe lequel d'entre eux aurait supplié, aurait fuit, mais était-ce vraiment une gosse ?

Je vais mourir, se dit-elle, je vais mourir et voici mes dernières bouffées d'air. Alors essayons que ce ne soit pas trop horrible, essayons de faire en sorte que ce soit majestueux, grandiose, immense...

Et grotesque.

Comme un athlète sur son plongeoir, elle fit un léger petit saut sur place, puis un autre petit saut semblable, au dessus du vide cette fois-ci. Ses pieds rencontrèrent le néant, pour ainsi dire, rien du tout. Et elle vécut ce rêve que l'on fait si souvent, lorsque l'on tombe dans le vide, et que l'on sursaute dans notre lit en sentant le matelas rassurant qui soutient notre corps encore secoué par l'adrénaline.
Le fleuve se rapprochait à une vitesse affolante, et elle remarqua qu'elle n'avait complètement le contrôle de sa chute, contrairement à ce que l'on croit. Comme une parachutiste, son corps était balloté par l'air, les bras tendus au dessus du fleuve, ses lèvres pincées et les yeux fermés.

La gamine avait peut-être les cheveux noirs et chaotiques, sales, la peau plus grise qu'autre chose, les traits tirés et des cernes impressionnantes, sans parler de ses os saillants... Mais n'importe qui aurait vu sa chute l'aurait trouvée magnifique. Tel un ange, la poitrine gonflée vers la mort qu'elle semblait désirer, ses cheveux noirs lissés par l'air qui les faisait vibrer derrière elle, son air paisible...

Le temps semblait s'être arrêté pour elle comme pour le monde, les trotteuses ne bougeaient plus, l'eau était figée, les cœurs ne battaient plus. Un ange passait, un ange tombait du ciel pour s'écraser sur la terre, un ange frêle à l'esprit fortifié par des pensées en acier renforcé qui recouvraient son chaos tel un cache-misère.

La pause était terminée...

Le silence rompu par le bruit de la glace qui se brise violemment et se fissure, laissant s'engouffrer en son cœur l'ange de la mort.

La première chose qu'elle pensa était qu'il faisait drôlement froid en enfer. Puis elle comprit qu'elle était en train de s'élever, et que c'était pour cela qu'on la mobilisait, ses membres engourdis et incapables de faire le moindre geste, sa volonté l'ayant déserté. Et, comme une bulle à la surface d'une eau paisible, son visage ressortit de l'eau, troublant la tranquillité majestueuse qu'était le fleuve. Au lieu de cette couleur bleu pâle et pur, un halo rougeâtre entoura la jeune princesse des ténèbres immobile, le sang s'éparpillant sous la glace qui se teinta en pourpre.

Puis, la tranquillité revint... Les oiseaux se remirent à piailler, les arbres à se faire doucement agiter par le vent, l'eau à produire ce son reposant... Quand, au milieu de tout cet apaisement, une main vint violemment taper la glace. Une main souillée par le sang et la saleté où un anneau de métal ornait l'auriculaire, une main aux os saillants mais qui avait encore la force de s'aggriper. 


Elle extirpa son corps brusquement de l'eau, tentant de s'émerger sur le morceau de glace. Tandis qu'elle hissait son buste, la glace se brisa, et elle retomba dans l'eau glacée avec un gémissement plaintif. Elle se retourna et recommença, se débattant tel un chiot qui se noie, battant des jambes à toute allure dans l'eau troublée et souillée, ses bras s'aggripant avec hargne et violence à la glace. Sur ses petits bras ressortaient ses muscles combattifs tandis qu'elle se hissait avec la force du désespoir, chaque mouvement et effort ponctué de petits gémissements d'effort et de douleur.

Enfin, en un dernier râle bestial, elle sortit de l'eau. Elle fit quelques pas à quatre pattes sur la glace, avançant le plus possible tant qu'elle était consciente, et enfin, s'effondra sur le flanc comme un animal mort.

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