samedi 7 juillet 2012

Le vol du Corbeau


Mon cri déchira le silence qui couvait les lieux, comme cette chape de plomb nuageuse sur un paysage dévasté. J'étais le dernier, le seul de mon espèce. Sans le savoir vraiment, je le ressentais dans mes tripes et mon heure ne tarderait pas. Déjà les coyotes affamés et galeux, victimes de la pollution comme toutes les espèces de la Terre, me reluquent avec envie, prêts à plonger leurs crocs acérés dans ma gorge dès que mon attention se relâchera, ou bien qu’ils seront tout simplement plus rapides.
Mais je ne m'attarde pas sur leur misérable condition.


L’air glisse sous mes ailes majestueuses tandis que je pique vers cette bulle de verre et d’acier chatoyante sous le soleil tantôt brûlant, tantôt glacé, qui appelle de ses feux moirés les derniers hommes emplis de rage, et qui ont quitté leurs maigres possessions pour combler leurs espoirs, avides d’un monde meilleur. 


D’une chance. 


D’un nouveau départ.


Du haut de ce panneau publicitaire, un des derniers vestiges de l’activité humaine, j'observe cette file d’attente devant les portes gardées de Cybercity. De temps en temps, je surprends le regard meurtrier de l’un de ces humains qui, à l’instar des coyotes, combleraient volontiers le néant de son estomac avec ma chair. La route fut si longue pour beaucoup d’entre eux. Si difficile. Ils viennent de si loin. Hommes, femmes, enfants, même des vieillards parfois. Tous animés de cette volonté de vaincre encore et toujours, de ne pas céder à la désolation dont ils furent eux-mêmes les artisans, et pensant trouver dans le dôme la rédemption.


Mais je le sais, moi, combien entrent ici et combien en sortent, plus tard, par l’autre porte, aussi morts que leur avenir. Des éclairs et des langues de feu animent souvent cette bulle, ce furoncle sur la face de l’Alaska. Les coups de feu font écho à mes appels, même s’ils n’atteignent jamais les cieux où désormais je êtes le seul maître. A quoi bon lutter. Tel un funeste augure, je m'élance à l’assaut des nuages non sans un dernier avertissement à leur égard. Peut-être l’un d’entre eux verra-t-il ce corbeau et rebroussera chemin.


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Anonyme

mardi 3 juillet 2012



Dans son dos, il résidait une chance, un espoir, bien que très faible. Si la glace n'était pas très épaisse... Si l'eau n'était pas si froide... Si le fleuve n'était pas si loin ...

Cela ne fit ni une ni deux, la jeune fille était lucide.

En sachant qu'elle n'avait que 10 ans mais allait peut-être laisser sa vie là, en étant consciente de sa mort très proche alors que certains enfants ne réalisent que très tard qu'un jour seulement ils mourront, elle se retourna face à son si précoce suicide. Il était insensé qu'un gosse fasse un tel choix, complètement fou, n'importe lequel d'entre eux aurait supplié, aurait fuit, mais était-ce vraiment une gosse ?

Je vais mourir, se dit-elle, je vais mourir et voici mes dernières bouffées d'air. Alors essayons que ce ne soit pas trop horrible, essayons de faire en sorte que ce soit majestueux, grandiose, immense...

Et grotesque.

Comme un athlète sur son plongeoir, elle fit un léger petit saut sur place, puis un autre petit saut semblable, au dessus du vide cette fois-ci. Ses pieds rencontrèrent le néant, pour ainsi dire, rien du tout. Et elle vécut ce rêve que l'on fait si souvent, lorsque l'on tombe dans le vide, et que l'on sursaute dans notre lit en sentant le matelas rassurant qui soutient notre corps encore secoué par l'adrénaline.
Le fleuve se rapprochait à une vitesse affolante, et elle remarqua qu'elle n'avait complètement le contrôle de sa chute, contrairement à ce que l'on croit. Comme une parachutiste, son corps était balloté par l'air, les bras tendus au dessus du fleuve, ses lèvres pincées et les yeux fermés.

La gamine avait peut-être les cheveux noirs et chaotiques, sales, la peau plus grise qu'autre chose, les traits tirés et des cernes impressionnantes, sans parler de ses os saillants... Mais n'importe qui aurait vu sa chute l'aurait trouvée magnifique. Tel un ange, la poitrine gonflée vers la mort qu'elle semblait désirer, ses cheveux noirs lissés par l'air qui les faisait vibrer derrière elle, son air paisible...

Le temps semblait s'être arrêté pour elle comme pour le monde, les trotteuses ne bougeaient plus, l'eau était figée, les cœurs ne battaient plus. Un ange passait, un ange tombait du ciel pour s'écraser sur la terre, un ange frêle à l'esprit fortifié par des pensées en acier renforcé qui recouvraient son chaos tel un cache-misère.

La pause était terminée...

Le silence rompu par le bruit de la glace qui se brise violemment et se fissure, laissant s'engouffrer en son cœur l'ange de la mort.

La première chose qu'elle pensa était qu'il faisait drôlement froid en enfer. Puis elle comprit qu'elle était en train de s'élever, et que c'était pour cela qu'on la mobilisait, ses membres engourdis et incapables de faire le moindre geste, sa volonté l'ayant déserté. Et, comme une bulle à la surface d'une eau paisible, son visage ressortit de l'eau, troublant la tranquillité majestueuse qu'était le fleuve. Au lieu de cette couleur bleu pâle et pur, un halo rougeâtre entoura la jeune princesse des ténèbres immobile, le sang s'éparpillant sous la glace qui se teinta en pourpre.

Puis, la tranquillité revint... Les oiseaux se remirent à piailler, les arbres à se faire doucement agiter par le vent, l'eau à produire ce son reposant... Quand, au milieu de tout cet apaisement, une main vint violemment taper la glace. Une main souillée par le sang et la saleté où un anneau de métal ornait l'auriculaire, une main aux os saillants mais qui avait encore la force de s'aggriper. 


Elle extirpa son corps brusquement de l'eau, tentant de s'émerger sur le morceau de glace. Tandis qu'elle hissait son buste, la glace se brisa, et elle retomba dans l'eau glacée avec un gémissement plaintif. Elle se retourna et recommença, se débattant tel un chiot qui se noie, battant des jambes à toute allure dans l'eau troublée et souillée, ses bras s'aggripant avec hargne et violence à la glace. Sur ses petits bras ressortaient ses muscles combattifs tandis qu'elle se hissait avec la force du désespoir, chaque mouvement et effort ponctué de petits gémissements d'effort et de douleur.

Enfin, en un dernier râle bestial, elle sortit de l'eau. Elle fit quelques pas à quatre pattes sur la glace, avançant le plus possible tant qu'elle était consciente, et enfin, s'effondra sur le flanc comme un animal mort.

Elle continua sa route et échangea les derniers mots de sa vie avec un boudhiste, sûrement la personne la plus pûre de ce dôme.
Elle admirait cet être, et fut soulagée en un sens de partager sa mort prochaine avec. Il désirait l'aider, il la comprenait, il lisait en elle... Pourtant, elle refusa. 
Lorsqu'un être arrive au point de vouloir réellement mourir, l'envisager sérieusement, plus aucune aide ne peut lui être profitable.
Elle déambula ensuite dans les secteurs, à la poursuite de sa destinée. 
Elle monta tout en haut de la tour résidentielle, jeta ses affaires au dernier étage de celle ci, puis chercha comment accéder au toit. Elle trouva le petit escalier y menant et grimpa... La vue était impressionante, on pouvait voir tout Cybercity, la mairie, le poste des douanes... Elle s'approcha du bord du toit et fut secouée d'un violent vertige, manquant de s'effondrer.






La jeune femme, les bras écartés comme en équilibre sur une poutre en plein cours de gym, contempla le vide. Elle resta longuement ainsi, les yeux grands ouverts à ce dôme pourtant mort. Elle aurait pu avoir une bien plus belle mort, elle aurait préféré que la toxicité de l'air ne la cueille plutôt que de finir par sauter du haut d'un immeuble dans un dôme fait de taule.
Elle ferma les yeux, respira encore quelques bouffés d'air... Cet air qu'elle aimait tant. Elle s'y était attaché, comme à sa vie, comme à toute les personnes qu'elle avait connu et aprit à aimer, comme le ciel ou le vent qui lui avait été retiré lorsque ce monde est mort. 


Les gens lui semblaient comme des fourmis de là haut, elle les observa et leur suggéra par la pensée de vivre heureux, comme elle n'avait jamais réussi à le faire. 
Tout n'était qu'illusion, autant son optimisme que sa bonne humeur, que sa naïveté... Sa décision était prise depuis longtemps, en vérité. Elle abandonna son combat pour la vie lorsqu'elle " signa un pacte avec le diable " et cela, elle venait à peine d'en prendre conscience. 


Je suis prête, pensa-t-elle. Elle ne l'était pas vraiment, mais puisque sa vie avait été parée d'illusions, sa mort en serait de même. 
Elle plissa les yeux avec force, faisant rouler une ultime larme le long de sa joue. Elle respirait ses dernières bouffées d'air artificiel, profitait de ses dernières pensées claires, c'était la fin. Rien de plus, rien de moins.
Alors, tremblant comme jamais mais déterminé, son pied se souleva du sol. Il s'avança au dessus du vide. 
A présent, le plus dur était fait.
Tout son corps bascula naturellement en avant, ce n'était plus trop difficile à présent. La volonté l'avait faite arriver jusque la, le reste était de la rigolade.


Lentement, le poid de son corps bascula en avant, au dessus du vide fascinant et morbidement attractif. 
Elle avait tant de fois rêvé de faire ça...


Elle se sentit partir en avant, gouter au vide majestueux, à la liberté si jouissive et intense qu'elle en était mortelle. 
L'air gonfla ses cheveux, si bien qu'ils formèrent une auréole argenté autour de son visage angélique. 
Son débardeur se plaqua contre sa peau, ainsi que le tissu de son bas. Les bras écartés, elle regardait le sol et la mort se rapprocher à une vitesse grandiose d'elle. Bientôt, elle gouterait au sol, au repos si confortable. Bientôt, elle s'écraserait sur la mort.
La chute était terriblement longue, bien plus que Luna ne l'aurait imaginé. 
Elle dégusta ce moment de liberté intense, le temps s'étant complètement arrêté, tout ayant disparut autour d'elle, sinon l'éternité. 


Freud avait dit un jour qu'on ne pouvait point désirer mourir, car tout humain possède un amour inévitable pour la vie... Le suicide ne résultait que d'un dégout pour les choses désagréables de sa vie.
Lorsque cette pensée revint en mémoire à Luna, il était déjà trop tard. Elle ne pouvait plus dire " pouce " et remonter sur son toit si protecteur. Non, inévitablement, elle tombait.
Accepter la mort, la désirer, l'épouser, entrer en osmose avec elle... L'obscurité la plus totale et la plus pure possible.


En un dernier sursaut lucide, tandis que son corps allait percuter le sol, elle fut prise d'un violent élant d'amour pour la vie.
Et elle comprit. Elle comprit tout ce qui régissait la destinée de chacuns.


La mort fait parti de la vie, lorsque l'on aime la vie, inévitablement, on aime aussi la mort...


Elle aima la mort, et la vie, et lorsque son corps percuta le sol, le choc fut si violent que ses organes se décolèrent de la cage toracique.


Elle était déjà morte dans son esprit, à partir du moment où elle était montée sur le toit. A partir du moment où Daron était mort. A partir du moment même où elle était née, en fait...


Reposant à présent sur le ventre, ses yeux étaient presque paisiblement fermés. 
C'était la fin. Sa volonté et tant d'autres facteurs avaient mené la jeune femme un peu plus vite que prévu à la mort. 


Ce genre de repos est éternel...